Le Portugal :
C’est sur le plateau d’Estrémadure, dominé par la Serra de Aire, qu’est né le Portugal et que s’est nouée son histoire mariale. A la fin du XIVe siècle, à la suite d’un vœu adressé à la Vierge, l’armée du roi Jean Ier le Grand battit les Castillans à Aljubarrota, la veille de l’Assomption 1385. En remerciement pour cette victoire, le souverain fit construire une église, à Batalha, dédiée à Notre Dame de la Victoire et un monastère dominicain (photo ci-dessous), voué à l’oraison et au sacrifice.
Les dominicains renforcèrent la dévotion du peuple à la Vierge et développèrent la grande prière du Rosaire que Notre Dame ne va cesser de recommander dans ses apparitions ultérieures.
Le peuple était persuadé que l’exploit d’Aljubarrota n’était pas seulement dû au bras heureux de Nuno - qui arborait l’étendard de la Vierge - mais encore au fait que les rois portugais avaient consacré leur nation à Marie, jurant de toujours défendre son honneur. La royauté s’y est maintenue avec des hauts et des bas jusqu’à la révolution de 1910, qui a installé une république anticléricale, violente, instable, anarchique, au point qu’en 1917, les plus clairvoyants ne voyaient vraiment plus de salut qu’en Dieu, comme jadis.
Son nom même n'a-t-il pas une résonance musulmane ? En effet, au XIIe siècle, après la victoire remportée à Ourique sur les Maures, un chevalier épousa une belle Mauresque convertie au catholicisme. Celle-ci mourut jeune et c'est en souvenir d'elle que le pays prit son nom, tandis que le chevalier, accablé de chagrin, se faisait moine dans la célèbre abbaye d'Alcobaça.
En 1917, Fatima est alors une paroisse d'environ 2 500 âmes, à la croisée des routes entre Coimbra et Lisbonne, d'une part, Ourem et Batalha, d’autre part. Elle dépend de l'évêché de Leiria distant de 30 km. Une quarantaine de hameaux gravitent autour d'elle, dont celui d'Aljustrel, à 1,3 km de l'église paroissiale. Les maisons, illuminées par le soleil n'ont que peu de pièces et un mobilier simple. Les convictions religieuses des villageois sont fortes. La présence du crucifix et d'images pieuses accrochés aux murs, les chapelles égaillées à travers la campagne, l'assiduité des fidèles aux offices paroissiaux les dimanches et les jours de fêtes et tant d'autres indices attestent la vigueur sans faille de leur foi. Les terrains, ensemencés de blé et de maïs, sont sillonnés de chemins creux bordés par des murets de pierres arrachées patiemment aux champs peu fertiles. Le produit des jardins, des arbres fruitiers, des vignes, des champs d'oliviers assurent une nourriture saine et suffisante.
Les trois petits bergers à qui Notre Dame est apparue à Fatima étaient trois enfants absolument normaux, que rien ne distinguait - au moins en apparence - des autres petits campagnards, leurs compagnons de jeux et, comme eux, gardiens des troupeaux.
Lucie était la plus âgée des trois. Née le 22 mars 1907, la dernière des sept enfants que Dieu avait donnés à Antonio et à Maria Rosa dos Santos et dans le petit hameau d’Aljustrel. Malgré son jeune âge, on pouvait déjà lui confier un petit troupeau de brebis, elle était robuste et solide, acceptait et remplissait vaillamment cette tâche. Elle avait deux grands yeux noirs qui brillaient sous d’épais sourcils. La chevelure épaisse et noire, était séparée par une raie au-dessus de son front étroit. Lucie était une bonne fille, avait un excellent caractère et d’heureuses dispositions : « Nous l’aimions beaucoup, parce qu’elle était très vive et très affectueuse, disait Maria dos Anjos, la plus âgée de ses sœurs. Quand, déjà grande, elle revenait à la maison avec les brebis, elle se jetait au cou de notre mère, I’embrassait et lui faisait beaucoup de caresses. Lorsque naquit ma première fille, il fallait la voir, Lucie ! Elle prenait la petite dans ses bras et la couvrait de tant de baisers, qu’elle n’en paraissait pas une créature de notre monde. Elle aimait beaucoup les enfants et tous raffolaient d’elle. Quelquefois il y en avait huit, dix, douze, dans la cour de notre maison et, elle, tout heureuse, parait les plus petits de fleurs et de lierre ; elle organisait des processions avec des images pieuses, fabriquait des brancards, des reposoirs et, comme si on avait été à l’église, on chantait des cantiques à Notre Dame.»
François, né le 11 juin 1908, frère de Jacinthe et cousin germain de Lucie, (leur mère étant la sœur du père de Lucie) était le sixième enfant de Manuel Marto et huitième d’Olimpia, leur mère, qui avait déjà eu deux enfants d’un premier mariage avec José Fernandes Rosa, décédé en 1895. Olimpia (décédée en 1956) s’était mariée une première fois en 1888. Devenue veuve après sept ans de mariage, elle avait épousé, en secondes noces, un an et demi après la mort de son premier mari, Manuel Marto.
Le petit avait un caractère exceptionnellement doux, d’après son père. Lucie précise qu’il était d’un naturel pacifique et condescendant. Comme tous les enfants du monde, François aimait beaucoup jouer. Cependant, lorsque, dans les jeux, un autre s’entêtait à lui contester ses droits, il cédait sans difficulté et se contentait de dire : «Tu penses que c’est toi qui as gagné ? Soit ! Cela m’est égal !» Si un autre gamin se hasardait à lui prendre quelque chose, il disait : « Garde-le ! Je ne m’en tracasse guère ! »
Jacinthe, née le 10 mars 1910, de caractère sensiblement différent de celui de son frère, lui ressemblait beaucoup extérieurement. Mais son âme était incomparablement plus pétrie de foi ! Elle était d’une nature extraordinairement sensible : « A 5 ans environ, nous raconte Lucie (dans ses « Mémoires »), en entendant parler des souffrances de notre divin Rédempteur, elle s’attendrissait et pleurait. Pauvre Notre Seigneur !, répétait-elle. Je ne veux faire aucun péché, pour que Jésus ne souffre davantage. » L’amitié qu’elle avait pour sa cousine Lucie était une amitié comme on en trouve rarement entre enfants. Son père disait d’elle : « Elle a toujours été si douce ! Sur ce point, elle était vraiment étonnante. Elle tétait encore sa mère, elle était déjà ainsi ! Si elle avait faim, elle le faisait savoir en pleurnichant un peu et puis c’était fini, elle ne donnait plus de souci à personne. On pouvait aller ici ou là, partir pour la messe... elle ne s’en tourmentait pas. Il n’y avait pas besoin de faire des manières avec elle pour la tenir tranquille. Elle ne se fâchait de rien. Nous n’en avons pas élevé une autre pareille ! C’était, chez elle, un don naturel. » Lorsque les deux petits troupeaux étaient réunis, Lucie indiquait le lieu choisi pour faire paître les brebis. Quelquefois on conduisait les brebis dans les lieux incultes proches de Fatima. Le « Cabeço » était le lieu le plus proche, colline bien garnie d’arbres et de bons pâturages, où les parents de Lucie avaient une petite oliveraie. Là, les chênes verts, les pins et les grands rochers moussus offraient aux enfants une ombre rafraîchissante pendant l’été et un lieu idéal pour s’amuser. C’était le lieu préféré des trois petits bergers et ils y attiraient souvent d’autres compagnons. C’était presque toujours Lucie qui organisait les jeux. Avec son caractère décidé et ses dons exceptionnels, elle s’imposait naturellement aux autres bergers.
« Lucie était très plaisante, rapporte une autre de ses compagnes, Teresa Matias. Elle aimait beaucoup nous faire jouer, de sorte que nous nous plaisions beaucoup avec elle. De plus, elle était très intelligente ; elle chantait et dansait bien et elle savait nous apprendre des chansons.
Tous, nous lui obéissions. Nous passions ainsi des heures et des heures à chanter et à danser, au point d’en oublier de manger. »
« Nous étions en train de jouer depuis quelque temps, raconte Lucie, lorsqu’un vent violent secoua les arbres et nous fit lever la tête pour voir ce qui arrivait, car le temps était serein. Nous aperçûmes une lumière plus blanche que la neige, qui avait la forme d’un jeune homme. Elle était transparente et plus brillante qu’un cristal traversé par les rayons du soleil. L’apparition approchait doucement et devenait plus distincte. Nous étions tout surpris, impressionnés et nous ne disions mot. En arrivant près de nous, cet être mystérieux nous dit : « Ne craignez pas ! Je suis l’Ange de la paix. Priez avec moi ! » Il s’agenouilla à terre et courba le front jusqu’au sol. Poussés par un mouvement surnaturel, nous l’imitâmes et nous répétâmes les paroles que nous lui entendions prononcer : « Mon Dieu, je crois, j’adore, j’espère et je vous aime ! Je vous demande pardon pour ceux qui ne croient pas, qui n’adorent pas, qui n’espèrent pas et ne vous aiment pas ! »
Après avoir répété trois fois cette prière, il se releva et nous dit : « Priez ainsi ! Les Cœurs de Jésus et de Marie sont attentifs à la voix de vos supplications. »
Et il disparut.
L’atmosphère surnaturelle qui nous enveloppait était si intense que nous n’avions presque plus conscience de notre propre existence. Pendant longtemps, nous demeurâmes dans la position où il nous avait laissés, répétant sans cesse la même prière. Ensuite, le sentiment de la présence de Dieu demeura si intense que nous n’osions pas parler, même entre nous. Le jour suivant, notre esprit était encore pénétré de cette atmosphère surnaturelle, qui ne disparut que très lentement. Aucun de nous ne pensa à parler de cette apparition, ni à en demander aux autres le secret. Elle l’imposait par elle-même. Elle était si intime, qu’il n’était pas facile de l’exprimer par des paroles. Peut-être nous fit-elle tant d’impression parce que c’était la première qui se manifestait à nous ainsi clairement...»
C’étaient là les prémices du contact des petits bergers avec le monde surnaturel. Le Ciel était descendu jusqu’à eux. Les amusements, les jeux, les chansons, les danses reprirent comme auparavant. Seul, leur désir de s’éloigner des autres bergers se maintenait, ou plutôt augmentait. C’était le Ciel qui les préparait ainsi aux événements à venir...
Le céleste messager se montra pour la seconde fois aux enfants : « Que faites-vous ?, leur dit-il. Priez, priez beaucoup ! Les Cœurs de Jésus et de Marie ont sur vous des desseins de miséricorde. Offrez constamment au Très-Haut des prières et des sacrifices.»
Comment devons-nous nous sacrifier ?, demanda Lucie.
- De tout ce que vous pourrez, offrez un sacrifice au Seigneur, en acte de réparation pour les péchés par lesquels il est offensé et de supplication pour la conversion des pécheurs. Attirez ainsi la paix sur votre patrie. Je suis son Ange gardien, I’Ange du Portugal. Par-dessus tout, acceptez et supportez avec soumission les souffrances que le Seigneur vous enverra.
Comme plus tard au cours des apparitions de la très Sainte Vierge, François n’avait rien entendu des paroles de l’Ange. Aussi, le soir, il demanda à Lucie ce que l’Ange avait dit. La petite, encore toute pénétrée d’une impression surnaturelle, lui demanda d’attendre le lendemain, ou de demander à Jacinthe qui lui répondit qu’elle ne pouvait rien dire non plus.
« Priez, priez beaucoup !... Offrez constamment au Très-Haut des prières et des sacrifices ! » Ces paroles, que les deux petites avaient entendues de la bouche de l’Ange et qu’elles avaient répétées à François, s’étaient gravées profondément dans leur esprit.
« Ces paroles, rapporte Lucie, étaient comme une lumière qui nous faisait comprendre ce qu’est Dieu, combien il nous aime et veut être aimé de nous, la valeur du sacrifice, combien le sacrifice est agréable à Dieu et comment Dieu, en considération du sacrifice, convertit les pécheurs. Aussi, dès ce moment, nous commençâmes à offrir à Dieu tout ce qui nous mortifiait, mais sans chercher des mortifications ou des pénitences particulières, sauf que nous passions des heures, prosternés à terre, à répéter la prière que l’Ange nous avait enseignée. »
Prière et pénitence ! C’est déjà le grand message de Fatima, que notre Mère du Ciel allait répéter avec plus d’insistance encore !
Puis à l’automne, raconte Sœur Lucie, alors que nous avions récité notre chapelet et la prière que l’Ange nous avait enseignée à sa première apparition, il nous apparut une troisième fois, tenant à la main un calice et, au- dessus de celui-ci, une hostie, d’où tombaient dans le calice quelques gouttes de sang. Laissant le calice et l’hostie suspendus en l’air, il se prosterna à terre et répéta trois fois cette prière :
Puis, se levant, il prit de nouveau le calice et me donna l’hostie et donna à boire ce que contenait le calice à Jacinthe et à François, en disant en même temps : « Prenez et buvez le Corps et le Sang de Jésus Christ, horriblement outragé par les hommes ingrats. Réparez leurs crimes et consolez votre Dieu !» De nouveau, il se prosterna à terre et répéta avec nous, encore trois fois, la même prière : Très Sainte Trinité... » et il disparut.
Comme après les deux premières apparitions, le besoin de silence se faisait impérieusement sentir aux trois enfants. De temps à autre seulement, François, qui n’avait pas entendu les paroles de l’Ange, risquait une question : « Lucie, I’Ange t’a donné la sainte communion, mais à moi et à Jacinthe qu’est-ce qu’il nous a donné ? » Et Jacinthe aussitôt, débordant d’une joie qu’elle ne pouvait contenir, lui répondait : « Mais c’est aussi la sainte communion ! Tu n’as donc pas vu que c’était le Sang qui tombait de l’hostie ? » Alors François, comme s’éveillant d’un rêve, lui disait : « Je sentais que Dieu était en moi, mais je ne savais pas comment. » Et, agenouillé sur le sol, avec sa petite sœur, il demeura longtemps à répéter la prière de l’Ange : « Très Sainte Trinité... »
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