Les Trois Chevaliers et la princesse Ismérie
C’est le temps des croisades. Jérusalem est délivrée, pour un temps. Mais le sultan d’Égypte poursuit encore Ascalon, place forte à vingt milles de la ville sainte. Dans un combat, en août 1134, les chrétiens eurent le dessous. Trois jeunes seigneurs français, trois frères, nés dans la province de Picardie, près de Laon, chevaliers de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem furent faits prisonniers. Emmenés captifs, ils furent dirigés sur le Caire, pour être présentés au sultan comme prisonniers de marque.
Le prince voulut les gagner à la religion de Mahomet. Ils répondirent qu’ils étaient disciples de Jésus-Christ et qu’ils lui resteraient fidèles. Furieux, le sultan les fit jeter dans un cachot. Puis il envoya ses serviteurs à la prison des chevaliers pour les convertir. Ils revinrent vaincus dans la discussion. « Impossible, de dimouvoir ces chrétiens de leur religion ». Le sultan s’avisa alors d’un expédient qui, selon lui, devait emporter tous les obstacles. Il avait une fille, qu’on appelait Ismérie. Les chevaliers, pensa-t-il, ne résisteront pas à ses arguments, « ensorcelés » par sa beauté et ses charmes. Il l’envoya donc vers eux, lui ordonnant d’employer tous les moyens et, s’il en était besoin, d’aller jusqu’au sacrifice de son honneur ! Mais la sainte Mère de Dieu veillait.
La première discussion eut pour résultat de faire lever dans l’âme d’Ismérie mille doutes au sujet de sa religion. A la seconde entrevue, les chevaliers, remplis de l’Esprit Saint, lui racontèrent les mystères sublimes de l’incarnation du Verbe et les vertus, les mérites, et l’incomparable virginité de la glorieuse Vierge Marie. Leurs paroles étaient pour elle autant de flammèches ardentes qui, par l’opération du Saint Esprit, allumaient en son âme les lumières de la foi. Et c’est en particulier vers l’Auguste Vierge Marie qu’elle se sentait attirée. Si bien qu’elle conçut un extrême désir de voir le portrait de la Mère de Dieu. Elle demanda aux chevaliers s’ils n’auraient pas une image de cette très sainte Vierge. Ils lui disent que non.
- « Est-ce qu’aucun de vous ne pourrait m’en faire une ? » - « Nous ferons ce que nous pourrons, dit l’aîné des trois frères, pourvu que vous nous fournissiez du bois et des outils de sculpteur. »
Aucun des trois chevaliers n’avait manié instruments de sculpteur. « Ne craignez rien mes frères, Notre-Seigneur Jésus-Christ et sa glorieuse Mère nous viendront sûrement en aide. »
Le lendemain, la princesse apporta le bois et les outils. L’aîné apaisa ses jeunes frères et, le soir venu, il se mit avec eux à supplier très instamment et très affectueusement la sainte Vierge d’intercéder pour eux. Leur prière à peine terminée, ils s’endormirent tous les trois.
La Sainte Vierge
La prière des bons chevaliers était allée droit au cœur de notre Mère. « Et voici que sur la minuit, la Mère de Dieu, veillant pour eux, leur envoie, portée par la main des anges, une sienne image très dévote et miraculeuse. Ceste image rend ceste obscure et puante prison esclairée d’une si grande lumière et parfumée de si soëves odeurs, qu’on eût dit que mille bougies bruloient dans le cachot et qu’on y respirait les parfums du Paradis ».
Au petit jour, la jeune Ismérie accourt tout impatiente de constater où en est le travail des chevaliers. Elle aperçoit cette brillante lumière, respire ce délicieux parfum et voit en prières devant la sainte image les trois chevaliers. Elle s’écrie : « J’en suis persuadée, ceci n’est pas un ouvrage de main d’homme. Ah ! je veux, cette sainte et glorieuse Vierge, la servir toute ma vie ainsi que son divin Fils. Je quitte la religion mahométane, et je vous promets de me faire baptiser et de vivre en bonne chrétienne, si vous voulez me donner cette belle et céleste image. »
Ismérie passa la journée à contempler l’image, et à prier la sainte Vierge de lui indiquer comment elle pourrait parvenir à se faire chrétienne. La Mère de Dieu lui apparut en songe et lui dit : « Aie confiance, Ismérie, ta prière est exaucée: tu délivreras mes trois dévots chevaliers, tu seras baptisée et honorée de Mon nom. Par toi la France sera enrichie d’un trésor inestimable... Par toi Mon nom sera célèbre par toute la terre, et enfin je t’admettrai près de Moi, pour toujours, au paradis. » La chambre d’Ismérie était toute parfumée des odeurs les plus exquises, son cœur débordait de joie.
La fuite :
La nuit suivante, elle se rendit secrètement à la prison. A son arrivée, elle trouva la porte miraculeusement ouverte ; Ismérie se hâta de leur raconter le songe et elle leur dit que non seulement elle était résolue à les délivrer, mais qu’elle voulait s’enfuir avec eux : « Suivez-moi hardiment, ne craignez rien, j’ai toute confiance en votre Dieu et en la très sainte Vierge dont je porte l’image ; ils nous guideront, nous aideront et nous sauveront. » Arrivés aux portes de la ville, ils les trouvèrent ouvertes ; ils se hâtèrent, et bientôt ils se trouvèrent sur le bord d’un des grands bras du Nil, ne sachant comment le traverser. Tout à coup ils virent de la rive opposée du fleuve se détacher une petite barque dirigée par un jeune homme à la figure noble et gracieuse ; en un moment il fut près d’eux, et « sans autre saluade, il leur dit : C’est pour vous que je viens, noblesses, entrez, je vous passerai à l’autre bord, car je sais votre désir ». Arrivés sur l’autre rive ils continuèrent leur voyage et marchèrnt pendant trois heures. Ismérie, harassée de fatigue les pria de vouloir bien la laisser reposer un peu. Cachés, ils se livrèrent à un paisible sommeil.
En France : Ce sommeil devait être suivi d’un réveil merveilleux. Quand ils ouvrirent les yeux à la lumière, ils se demandèrent où ils étaient. Leurs oreilles étaient frappées des sons « d’une cornemuse de laquelle un pastre passoit quelques fredons ». Les chevaliers coururent vers lui et, se croyant encore en Égypte, lui demandèrnt « en langue mauresque » où ils étaient. - « Seigneurs, parlez français si vous voulez que je vous entende, répond le berger. » - « Nous sommes donc en France ? Mais dans quelle province, dans quel diocèse ? » - « Dans la province de Picardie, mes seigneurs, dans le diocèse de Laon, et tout proche du château de Marchais. »
C’était le propre château des chevaliers, leur maison paternelle. Ils remercièrent le ciel avec effusion pour ce nouveau bienfait. En passant dans un jardin, la statue se fit si pesante dans les bras d’Ismérie, qu’elle dut être déposée à terre. Ils comprirent que la sainte Vierge avait choisi cet endroit pour y être honorée. Et en effet, après leur réception au château avec tous les sentiments de surprise, de joie, de reconnaissance, ils se rendirent à Laon, accompagnés de la princesse, assistèrent au baptême que l’évêque lui conféra avec le nom de Marie, et obtinrent du prélat la permission de bâtir une église à la Mère de Dieu. Ils la construisirent dans le jardin choisi par elle, et lui donnèrent le nom de Notre-Dame de Liesse. Les miracles qui s’y accomplirent attirèrent des foules et peu à peu autour de l’église le bourg de Liesse s’éleva. « Finalement, la damoiselle Marie, appelée autrefois Ismérie, fit sa demeure avec la mère des chevaliers. Elle vécut ainsi saintement peu de jours ; si qu’estant passée à plus honorable vie, fut son corps enterré en la mesme église de Notre-Dame de Liesse. »
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